Vivre ses émotions, qu'est-ce que ça veut dire?

Vivre ses émotions. Avez-vous déjà entendu ces mots? Il faudrait vivre ses émotions, prendre le temps de ressentir, de vivre son deuil, sa tristesse, sa colère. De beaux principes qui semblent logiques. Les émotions sont souvent tassées dans notre société; malaisantes, refoulées, reléguées à l’intimité ou dévoilées uniquement devant un professionnel en session privée. Même les émotions positives se doivent d’être modérées et discrètes; il ne faudrait surtout pas afficher son bonheur dans le visage des gens, au risque de leur rappeler leurs malheurs.
Mais qu’est-ce que ça veut dire exactement vivre ses émotions? Est-ce que ça veut dire pleurer un bon coup sous la douche? Prendre congé du travail et binge watcher une série entière sur Netflix en mangeant du chocolat? Crier sa joie par la fenêtre? Ou encore, se rouler en boule et se cacher dans un coin sombre et attendre que ça passe?
Comment «vit-on» une émotion? Comment laisse-t-on sortir ses émotions? Comment ça sort les émotions? Ce n’est certainement pas aussi simple qu’une gastro pourtant! J’ai décidé de chercher des réponses (parce que ça m’énerve de lire ça partout sur Internet et de ne pas comprendre ce que ça veut dire. Mes hormones de périménopauses n’acceptent plus de phrases ou de discours délavés ou dilués répétés à outrance sans explications. La Jeanette en moi VEUT SAVOIR).
Première constatation : je suis une personne émotive. On m’a souvent dit que j’étais hypersensible. J’ai aussi lu sur les «empaths», ces personnes qui seraient à l’opposée des psychopathes. Si le niveau d’empathie d’une personne pouvait être mesuré sur une échelle de zéro à cent, les psychopathes seraient au niveau zéro et les empaths au dessus de quatre-vingt-dix! Méchant tsunami d’émotions!
Longtemps, j’ai cru que j’étais «brisée» d’une certaine façon. Pas normale. J’ai toujours ressenti non seulement les émotions des gens autour de moi; mais j’ai toujours eu l’impression de ressentir également les relents d’émotions sous forme d’énergie dans une pièce après le départ des gens. Je peux ressentir les émotions des animaux, des forêts, des lieux. Quand j’étais plus jeune, je croyais que toutes ces émotions venaient de moi. J’entrais dans une pièce et une vague d’émotions me submergeait; ce pouvait être de la tristesse, de la colère, de la joie, du désespoir. Je croisais des personnes et je ressentais les mensonges, les frustrations, la fatigue mentale.
Que l’on croie à ce genre de chose ou non (je n’y ai pas cru durant longtemps), cela ne change rien à mes ressentis. J’ai essayé de croire que j’étais folle. Que j’étais malade. Tous les médecins que j’ai consultés ont essayé de me convaincre de me médicamenter, pour rendre mes émotions «plus neutres» (antidépresseurs ou anxiolytiques). Mais ils n’ont jamais pu me dire qu’elle était la cause de cette intensité d’émotions (mes «symptômes» ne correspondaient pas aux maladies mentales associées à la gestion des émotions comme la bipolarité ou le trouble de personnalité limite, exemples). Alors il aurait fallu que je finisse ma vie avec cette béquille que sont les médicaments (qui ne sont pas sans risque), sans jamais comprendre pourquoi j’étais comme ça. Parce que si l’on vous prescrit un médicament, c’est que votre corps ne fonctionne pas comme il le devrait non? Et devant cette question sans réponse, je me suis demandé ce qui arriverait si je CHOISISSAIS de voir mon émotivité comme étant normale?
J’ai alors décidé d’accepter mon intensité émotive. J’ai accepté que mon émotivité fasse partie de moi. Sans jugement. C’est alors que j’ai trouvé ma première réponse;
Certaines personnes sont intellectuelles, d’autres sont manuelles; moi, je suis émotive.
J’ai donc changé de perspective. J’ai commencé à voir mes émotions comme faisant partie de moi. Est-ce que cette intensité émotive pouvait même être une force?
J’ai commencé à porter attention à mes émotions. À les laisser être. Un peu comme les contractions lors d’un accouchement; quand on les laisse venir et qu’on les accepte, elles nous traversent et repartent d’où elles sont venues. En faisant cela, j’ai réalisé que plusieurs émotions que je ressentais ne m’appartenaient pas; j’étais simplement sensible aux émotions des autres et vu mon niveau d’empathie élevé, je les ressentais comme si elles étaient miennes. J’ai appris à reconnaître lesquelles m’appartenaient. J’apprends encore aujourd’hui à ne pas conserver les émotions des autres à la fin de la journée. Mais il me restait encore les miennes.
En acceptant mon émotivité, j’ai réalisé que la société est très rapide pour reléguer nos émotions à des maladies, des troubles, simplement parce que les émotions, ça dérange la productivité (les maladies mentales existent; je parle de l’émotivité normale et quotidienne). Il est normal que l’on souhaite éviter les émotions négatives. Surtout quand elles deviennent fréquentes ou qu’elles sont très intenses comme dans mon cas. On voudrait qu’un professionnel nous dise ce qui ne va pas et nous donne la pilule miracle. On veut du concret et pas pour hier.
Mais si aller trop vite était comme mettre un diachylon sur une plaie ouverte, sans prendre le temps de laver, désinfecter et recoudre la blessure? On sait pourtant que les émotions, même si elles sont intangibles, peuvent causer des dommages bien réels quand elles vous submergent à long terme et que vous n’avez pas les outils pour les gérer (suicide, violence, santé précaire, etc.).
La société veut nous faire croire qu’une émotion, c’est un problème à régler (et parfois c’est le cas). Certains parents disaient «arrête de pleurer pour rien sinon je vais te faire pleurer pour quelque chose de vrai». J’ai intégré ce concept «d’émotions inutiles et invalides» et aujourd’hui, pour plusieurs personnes comme moi, c’est difficile de ne pas essayer de balayer sous le tapis toute émotion qui survient. C’est alors que j’ai eu ma deuxième réponse;
Les émotions ont besoin de temps et d’espace.
Depuis, je laisse mes émotions venir, puis rester le temps qu’il leur faut! Je prends des pauses. Du temps pour moi. Du temps seule. Il s’agit en fait d’accepter nos ressentis comme étant VALIDES. De me dire, par exemple; «Je me sens triste aujourd’hui et cette tristesse a sa raison d’être. Je l’accepte. Je lui laisse la place. Je lui laisse la parole et je l’écoute.» Cela peut vouloir dire prendre un congé, ou de diminuer mes tâches, de dire non à certaines choses, de baisser mes attentes, de ne pas me forcer à mettre un masque devant les autres. De ne pas faire semblant.
Une fois que je crée cet espace et cette bulle temporelle, je réalise que;
Les émotions ont besoin d’être reconnues et nommées.
Je viens d’une famille où les émotions n’avaient pas leur place. Le travail, l’apparence, ce que les autres vont en penser, tout ça passait en premier. J’ai appris à cacher mes émotions. À ne surtout pas les montrer, car c’était vu comme un signe de faiblesse et de caprice. J’ai tellement refusé de regarder les émotions en face, qu’aujourd’hui, j’ai du mal à les reconnaître. Il y a même un nom pour cela; l’alexithymie. L’alexithymie est «l’incapacité à ressentir certaines émotions ou une grande difficulté à mettre un mot sur un ressenti, l’alexithymie, sorte d’anorexie des sentiments, handicape les personnes qui en sont atteintes.» (L’alexithymie, ce mal qui empêche d’exprimer ses sentiments, par Mylène Bertaux, publié le 27/10/2016 à 10:03 , mis à jour le 03/08/2022 à 13:26 sur www.madame.lefigaro.fr) Pendant longtemps, j’ai été en colère contre les injustices, particulièrement celles faites aux enfants et aux femmes. Je ressentais de la rage, rien de moins et j’avais des désirs de vengeance même si je ne connaissais ni les victimes ni les criminels. Derrière cette rage se cachait de la tristesse, de la culpabilité et de la colère vis-à-vis des adultes qui ne m’ont pas protégée ni écoutée, ni crue quand j’étais petite, lorsque j’ai moi-même été une victime. Ma rage est en fait un grand sentiment d’impuissance, de vulnérabilité et de peur.
La tristesse, le désespoir et la solitude qui m’ont accompagné durant des années découlaient en fait d’une faible estime de moi acquise pendant mon enfance; je croyais que je ne méritais pas d’être vu, écouté, consolé. Non seulement les émotions n’étaient pas valorisées quand j’étais enfant, mais elles étaient rabaissées, ridiculisées. Même si à l’âge adulte j’ai compris intellectuellement que les émotions sont valides et normales, mon corps et mon cœur ont continué à traiter les émotions comme une maladie, au point de créer des symptômes physiques et bien réels.